Métaphysique de l’assurance?
Ne fuyez pas à la lecture de ce simple mot de « métaphysique » ! Mot terrifiant, il est vrai, mais qui peut se cacher derrière les choses les plus anodines. Comme derrière l’assurance que vous venez de souscrire pour votre voiture… Éléments pour une métaphysique de l’assurance.
Sommaire
Un problème derrière une chose bien simple
Il y a d’emblée quelque chose de contradictoire dans cette notion d’assurance : ce qu’on cherche à assurer, on cherche à le garantir, car il est soumis à un risque qu’on ne maîtrise pas. Ce risque, on l’appelle aussi aléa : c’est l’ensemble des événements partiellement ou complètement imprévisibles qui peuvent survenir à une chose à laquelle on tient. Disons partiellement, puisqu’aujourd’hui et de plus en plus, tous les efforts des compagnies d’assurance et des sociétés visent à mieux cerner et qualifier le risque, à le mesurer pour mieux le prévoir et en atténuer les effets.
Les futurs contingents
Mais cela reste un aléa ! C’est-à-dire un événement qui survient hors de notre volonté et dont on n’est pas l’origine. Son incertitude tient au fait qu’il n’a pas encore eu lieu : il appartient au futur, au domaine du possible et du contingent ; et pourtant, sans connaître
précisément sa nature, sa grandeur, ses qualités, on voudrait s’en protéger ! S’en protéger à l’avance, en l’anticipant ! Oui, les hommes semblent désirer être Dieu et vouloir tout connaître, le passé et le futur, le réel, le possible et le virtuel, le nécessaire, le contingent, ou encore ce que Leibniz appelait les « futurs contingents » ! Car qui peut prétendre savoir à l’avance et précisément ce qui n’a pas encore eu lieu ?
Et on se rapproche d’une métaphysique de l’assurance…
Assurer, un défi
Et pourtant, l’assurance essaye de combler ces lacunes.
Que de choses derrière ce simple et banal mot d’assurance ! Que de choses on a tendance à oublier, que d’incertitude métaphysique, de virtualité ontologique derrière ces vitrines que l’on voit à chaque coin de rue et dans lesquelles nous accueillent des hommes, des femmes proprement habillés, mais chez qui on a du mal à soupçonner des interrogations sur le savoir humain et ses limites… comme dans le cas du Crédit Agricole !
Et pourtant !
De cela, on n’aperçoit qu’un îlot bien mince lorsqu’on nous demande de remplir un formulaire, de le signer et de l’accompagner d’un chèque. Pourquoi une telle somme ? Pourquoi précisément ce chiffre et pas un autre ? Pourquoi ces virgules, ces variations si l’un des paramètres change et d’ailleurs, d’où viennent tous ces paramètres dont on ne soupçonnait pas l’existence et l’importance ?
Derrière ces chiffres simples et ces tableaux, on entrevoit un monde de calculs. Et pas simplement des calculs pour mesurer ce qui est, ce que l’on voit, ce que l’on touche. Mais comme on le disait plus haut, des calculs pour appréhender le non-être, le non-encore advenu, le possible, le futur, la nuit noire de l’intelligence et le mystère de l’avenir. Un aspect métaphysique et prométhéen des compagnies d’assurance auquel peut-être on ne songe pas immédiatement et qui demande quelques explications.
Une science de l’incertain
S’assurer pour se prémunir de l’incertain est une idée qui remonte à loin dans le temps. Mais les babyloniens du IIe millénaire avant notre ère, ou, après eux, les marchands grecs qui assuraient leurs cargaisons maritimes pour éviter de tout perdre sous le coup d’une colère de Poséidon, n’avaient pas grand chose de nos mesures actuelles et de la tentative de détermination de plus en plus précise du futur, incertain et, par définition, comprenant une part d’aléatoire.
De la simple appréhension du possible à la science, il y a un grand pas… avant de constituer une métaphysique de l’assurance …
Et ce sont bien sûr des scientifiques qui l’ont initié de la façon la plus ambitieuse et téméraire. Mais ce qui les intéressait, ce n’était pas l’assurance d’un bien précis ; non, en tant que purs scientifiques, ils voulaient frotter leur esprit à la résolution de problèmes apparemment insolubles et cette mesure de l’aléatoire fut pour eux un défi à la hauteur de leur génie.
Le calcul des chances
Mesurer l’aléatoire, faire des probabilités, le projet se dessina au milieu du XVIIe siècle chez Pascal, mathématicien et philosophe, et son ami Huygens, scientifique. Quel était leur problème ? Ils ont eu l’ambition de résoudre le « problème des partis », discuté depuis le XIVe siècle.
Dans le problème des partis, il s’agissait de déterminer équitablement, dans un jeu de hasard (le jeu de dés par exemple) interrompu avant son terme, la part à attribuer à chaque joueur en considérant la chance que chacun avait de gagner, à cet instant précis où la partie a été interrompue. Pascal en a donné une résolution, et à propos de ses travaux, on a justement parlé d’une géométrie du hasard, et de la naissance du calcul des probabilités, ou calcul des chances.
Voyez-vous le lien entre la résolution de ce problème aride et inutile pour certains, et les calculs de votre conseiller d’assurance, calculs que ce dernier n’a même pas à effectuer puisqu’ils sont déjà rentrés dans son ordinateur ?
La première différence, c’est que la tête de Pascal était un ordinateur.
La deuxième chose, et qui est un point commun, c’est que votre conseiller et Pascal essayent tous les deux de calculer un risque, une probabilité ; ils tentent tous les deux de mesurer la chance, cette fée incertaine qui par définition nous échappe.
Conclusion sur la métaphysique de l’assurance
Les calculs des sociétés d’assurance, les choix des courtiers d’assurances et leurs barèmes, ont à coup sûr une valeur beaucoup plus pragmatique ; justement, ils sont de la mathématique appliquée à des problèmes concrets, engageant des questions d’argent, non seulement l’argent des particuliers, le risque de tomber malade, d’avoir un accident ou de mourir, mais aussi, et alors leurs dimensions s’agrandissent considérablement, le risque de toute une population soumise à l’aléa d’un phénomène naturel. D’où la sécurité sociale, l’assurance santé, l’assurance maladie, l’assurance auto …
Voilà une partie de l’arrière plan de nos systèmes d’assurance, pour donner à ceux qui le veulent le goût d’aller plus loin dans l’étude de la science de l’incertain, et, aux autres, pour les conforter dans l’idée que signer un chèque et remplir un formulaire en indiquant son nom et son prénom n’est pas une tâche bien difficile…